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György Ligeti, Etudes pour piano

Interprétées en concert par Andrew Infanti

Le compositeur hongrois György Ligeti (1923-2006) composa dix-huit études pour piano entre 1985 et 2001.
Andrew Infanti a notamment interprété en concert six d’entre elles au Conservatoire de New England à Boston (USA) ou à l’Université de l’Iowa * (USA). (lire la suite …)

Les Etudes de Ligeti

Au départ, en 1985, Ligeti compose sa série d’Etudes pour piano comme un présent d’anniversaire offert à Pierre Boulez. Le Premier Livre (Etudes 1 à 6) lui vaut de recevoir en 1986 le prestigieux Grawemeyer Award (le « prix Nobel » de la musique). Les Etudes du Second Livre (Etudes 7 à 14) sont composées entre 1988 et 1994. Un troisième volume (contenant les Etudes 15 à 18) est publié en 2001.

Les Etudes sont principalement inspirées par les compositions pour piano mécanique de Conlon Nancarrow. Ligeti, admirant leur complexité polyrythmique, voulait rendre leur exécution accessible à des êtres humains. Ce n’est pas sa seule source d’inspiration : comptent aussi les tambours d’Afrique subsaharienne, les motifs de la géométrie fractale et la grande tradition des études pianistiques, de Scarlatti à Chopin et Debussy.

Etude n° 1, Désordre

Désordre donne à entendre la fascination qu’exercent les processus mécaniques sur les êtres humains. Le plan de Ligeti est strict : la main droite joue uniquement sur les touches blanches, la gauche sur les seules touches noires. Dans cette situation harmoniquement saturée, chaque main développe un objet musical distinct, chacun semblant être davantage un vecteur qu’une mélodie. Les deux objets sont apparentés, mais non identiques ; ça déraille rythmiquement, créant ainsi pour l’auditeur un désarroi croissant. Ironiquement, ce désordre fictif procède d’une stricte maîtrise du compositeur, qui reste aux manettes en programmant des crises et des moments de redémarrage dans un objectif dramaturgique. Pour Ligeti, ces crises musicales résultent de limites purement physiques — les limites extrêmes de l’instrument dans l’aigu et le grave. Dans l’Etude, Ligeti façonne un objet fini et symétrique selon un processus qui est, théoriquement, infini et chaotique. En outre, la rigueur de la construction n’empêche pas une expressivité aux confins de l’exaltation joyeuse.

Etude n° 2, Cordes à Vide

Dans cette Etude, Ligeti utilise le piano comme un orchestre d’instruments à cordes qui, étant à la fois réels et imaginaires, s’accordent sur leurs cordes à vide. Un flux constant de quintes justes est joué à différentes vitesses et selon différents registres. Les rencontres sonores inhabituelles ainsi induites inspirent au compositeur une poésie subtile.

Etude n° 12, Entrelacs

Ligeti hésita sur le titre de l’énigmatique Étude n° 12. Les mains du pianiste sont séparés selon deux séries de hauteurs mutuellement exclusives, à la manière de Désordre, créant une ambiguïté harmonique irisée. Rythmiquement, cette étude repose sur une polyrythmie de 13:17, à laquelle s’ajoutent cinq couches supplémentaires (!) avec les valeurs métriques 11, 7, 5, 4 et 3. La complexité de ces boucles métriques crée un réseau sonore qui repousse les limites de la perception auditive. Entrelacées aux boucles elles-mêmes se trouvent des mélodies fougueuses, elles-mêmes issues de ce réseau polyrythmique précomposé. La tension entre une structure abstraite et les arcs résonnants qui tentent de s’en détacher font de cette Etude un objet de fascination.

Etude n° 13, L’Escalier du diable

La flamboyante Étude n° 13 repose sur une progression à la fois claire et simple, mais qui au fur et à mesure devient extrêmement complexe. Le motif principal de la pièce est une figure chromatique ascendante, enfermée dans un rythme palindromique rappelant la musique folklorique des Balkans. La musique menaçante qui résulte de cette combinaison tente à plusieurs reprises, en vain, d’atteindre le registre le plus aigu du piano. Chaque ascension stagne inévitablement sur un plateau ou bien elle faillit, tout en s’efforçant de rejoindre le sommet avec d’autres voix. Au terme de nombreuses tentatives avortées, jusqu’à six voix s’évertuent à monter en suivant des rythmes différents. Les crises de registre caractéristiques de Ligeti atteignent des extrêmes éprouvants dans cette Etude. Le compositeur allie des notions mathématiques comme les représentations graphiques de fractals (le déroutant « Escalier du diable ») à une conception sonore et dramatique fort romantique.

Etude n° 5, Arc-en-ciel

La cinquième Etude est une pièce tendre et intime qui explore la tension subtile inhérente à la figure rythmique appelée hémiole (division simultanée en mesures binaires et ternaires). Les harmonies douces prennent des accents acerbes lorsque les mains divergent légèrement au milieu de la mesure. La pièce se développe librement et son effet est jazzy et cristallin. Officieusement, Ligeti admit avoir conçu cette étude en imaginant « Bill Evans jouant un Nocturne de Chopin à 4 heures du matin ».

Etude n° 6, Automne à Varsovie

L’Étude n° 6, dédiée aux amis polonais de Ligeti, évoque le deuil et la résistance. Le motif mélodique de base est une ligne descendante, rappelant les pleureuses professionnelles hongro-roumaines qui se lamentent en chantant lors de funérailles. La musique progresse par halètements et soupirs, s’intensifiant par un effet de masse. Un nombre toujours croissant de voix entrent dans le morceau, toutes progressant à des vitesses métronomiques différentes. Les rapports mathématiques de 3:5 et 5:7, inhabituels pour la musique européenne, organisent les interactions rythmiques, créant une tension pour l’auditeur qui tenterait de démêler les écheveaux polyphoniques. A la fin de l’Etude, la musique ne parvient plus à supporter l’expression de ce chagrin collectif et le tout s’effondre de façon dramatique.